Tuesday, July 10, 2012

De quoi s'arracher les cheveux, avec leurs extensions...

A l'image d'un corps possédant une extension algébriquement close, peut-on étendre des espaces topologiques généraux en des espaces possédant des propriétés plus agréables ? La réponse est oui, évidemment, et nous proposons ici d'approcher une des composantes du travail du mathématicien, à savoir celle qui consiste à fabriquer des extensions artificielles sur lesquelles tout un jeu de propriétés devient accessible, à partir d'ensembles a priori "généraux".

Examinons cela, par le biais de la complétion d'espaces métriques.

En effet, un espace métrique X se complète, en considérant l'espace des suites de Cauchy d'éléments de X sur lequel on définit une relation d'équivalence : deux suites de Cauchy sont équivalentes si la distance entre les deux suites tend vers 0. Ainsi, dans cette extension qu'est l'espace des suites de Cauchy quotienté par la relation d'équivalence définie, l'espace de départ peut s'identifier à l'ensemble des suites constantes. Par ailleurs, par complétude de l'ensemble des réels, la distance (au sens de la métrique de X) entre les éléments de deux suites de Cauchy converge vers une limite, ainsi on peut définir une métrique sur l'extension par ce moyen (2). Définir une extension constituée d'objets (ici, des suites de Cauchy) a priori de nature différente des éléments de l'espace d'origine, puis identifier l'espace d'origine à un sous-ensemble de l'extension par une relation injective (ici, celle qui à un élément de X associe la suite constante égale à cet élément) est un des principaux procédés utilisés en mathématiques pour construire des extensions.

Pour la métrique de l'extension, l'application qui à un élément de X associe la (classe de la) suite constante dans l'extension est bien une isométrie. Par ailleurs, le plongement est dense dans l'extension et ce point précis demande une certaine gymnastique intellectuelle. Considérant un élément de l'extension, c'est-à-dire une (classe d'équivalence d'une) suite de Cauchy de l'espace de départ, suite qu'on appelle x, il s'agit de construire une suite d'éléments de X, en tant que partie de l'extension, qui s'approche indéfiniment de la suite choisie x. Autrement dit, il suffit de trouver une suite de suite constantes qui s'approche indéfiniment de la suite choisie x, pour une métrique qui mesure la distance entre deux suites de Cauchy par leur distance en l'infini (3). Une fois qu'on a bien remis ses neurones à l'endroit suite à une telle bourrasque, on s'aperçoit que la suite des suites constantes égales à chacun des termes de la suite x convient - et cela provient directement du caractère de Cauchy de toutes ces suites.

Si on résume, on vient de construire une extension de X, de la munir d'une métrique et de montrer que X y est dense. Mais il nous manque l'essentiel : la complétude de l'extension. Pour cela, il va falloir encore faire une belle pirouette entre X, son plongement dans l'extension et les éléments de l'extension - qui sont, on le rappelle, des classes d'équivalence de suites. En effet, considérant une suite de Cauchy y dans l'extension, c'est-à-dire une suite de suites d'éléments de X, à n'importe quel rang y(n) de cette suite on peut trouver un élément x(n) du plongement de X - x(n) est à la fois un élément de X et une suite constante dans l'extension - qui soit proche de y(n) à 1/n près, au sens de la métrique de l'extension.

1er artifice : dans cette affaire, x(n) - en tant qu'élément de l'extension - est une suite constante, contrairement à y(n) - en tant qu'élément de l'extension toujours - qui ne l'est pas a priori. 2ème artifice : certes, la suite des x(n) - où x(n) est cette fois considéré comme un élément de X - ne converge pas dans X, mais comme elle est de Cauchy, elle a sa classe d'équivalence dans l'extension. Alors, il se trouve que cette classe d'équivalence est la limite que l'on cherche pour la suite y, ce qui s'établit sans difficulté majeure.

Si le raisonnement a de quoi désorienter, on ne doit pas perdre de vue ce magnifique procédé qui consiste à étendre un ensemble dit "général" en définissant une extension composée d'objets de nature élaborée puis à considérer que l'espace d'origine se plonge "naturellement" dans son extension par une application injective. Une série d'artifices telle que les deux que nous venons d'exposer permet alors d'aboutir à des conclusions a priori miraculeuses. C'est ce mode de raisonnement que je trouve personnellement très instructif que je tenais à partager.

Le prolongement ci-dessous propose un examen du cas de compactification. Ce cas est analogue puisqu'il propose d'adjoindre à l'espace de départ un "corps étranger" qui rend l'espace compact. C'est alors un procédé d'extension moins abstrait, mais de même nature que celui que nous venons d'exposer. La construction d'une extension de corps algébriquement close est du même acabit.

Prolongement : le compactifié d'Alexandrov

Partant d'un espace X non compact mais localement compact, il est possible de définir une extension compacte, "simplement" en adjoignant l'infini à l'espace de départ. Joli, n'est-ce pas ? C'est ainsi qu'on définit, dans le cas du plan réel, la sphère de Riemann, en adjoignant l'infiniment lointain au plan, comme si on repliait un planisphère en mappemonde.. Cette image permet sans doute de mieux saisir la notion de compactifié d'Alexandrov.

En fait, le procédé comprend également une redéfinition de la topologie adaptée à l'extension, en considérant comme ouverts les parties engendrées par les ouverts de X et les complémentaires de compacts dans X auxquels on adjoint l'infini.

Pour la petite histoire, la raison pour laquelle une telle extension est compacte tient dans le fait que l'infini se sépare de tout élément de X (4a) et que dans tout recouvrement ouvert de l'extension, on trouve un ouvert qui contient l'infini (4b).


(1) ... pour peu qu'il soit localement compact, c'est-à-dire que tout point admette un voisinage compact.
(2) On vérifie plus ou moins aisément qu'il s'agit bien d'une métrique ; en tout cas c'est un bon exercice.
(3) ... distance à l'infini qui existe bien, car on est dans l'ensemble des réels, qui est complet.
(4a) Merci à la compacité locale !
(4b) Le complémentaire est alors compact, il est recouvert par tous les autres ouverts du recouvrement, et on peut alors extraire un nombre fini pour remplir la même fonction de recouvrement.

No comments:

Post a Comment